
Par Guillaume Fort. Les assurances de dommages et
notamment celles tenant à la responsabilité des dirigeants prévoient
généralement des clauses d’exclusions visant les réclamations fondées sur une
faute intentionnelle ou une faute dolosive du dirigeant assuré.
La démonstration
d’une telle faute permet en effet de retenir la responsabilité personnelle du
dirigeant et non celle de la société qu’il gère.
Se pose alors la question de
définir juridiquement les termes de « faute intentionnelle ou
dolosive ».
La présente étude tentera de
répondre à cette question, par une analyse générale de la notion de faute
intentionnelle puis son utilisation spécifique en matière de la responsabilité
personnelle des dirigeants à l’égard des tiers.
I.
Unité
ou dualité de faute
La question d’une distinction
entre faute intentionnelle et faute dolosive est toujours discutée en doctrine
et n’est pas tranchée par la Cour de cassation à ce jour.
Au visa de l'article L. 113-1 du
Code des assurances, la Cour de cassation a initialement affirmé qu'« au sens
de ce texte, la faute
intentionnelle qui exclut la garantie de l'assureur est
celle qui suppose la volonté de causer le dommage et pas seulement d'en créer
le risque » (Cass. 1ère civ., 10 avr. 1996, n° 93-14571).
Après avoir estimé que «
l'appréciation par les juges du fond du caractère intentionnel d'une faute, au
sens de l'article L. 113-1 du Code des assurances, est souveraine et échappe au
contrôle de la Cour de cassation » (Cass. 1ère civ., 4 juill. 2000, n°
98-10744) ; la Cour de cassation est revenu à un contrôle normatif en 2003 : «
la faute intentionnelle, au sens de l'article L. 113-1 du Code des assurances,
qui implique la volonté de créer le dommage tel qu'il est survenu, n'exclut de
la garantie due par l'assureur à l'assuré, condamné pénalement, que le dommage
que l'assuré a recherché en commettant l'infraction » (Cass. 1ère civ., 27 mai
2003, n° 01-10478).
Les deux éléments de la faute
intentionnelle sont clairement rappelés :
- le
geste fautif volontaire ;
- la
volonté de provoquer le dommage effectivement survenu.
Un courant doctrinal emmené par
les professeurs Bigot (Les limites du risque assurable RGAT 1978 p174), Kullman
(RGDA 2006 p. 632) et Groutel (Resp. civ et assur. 2005, com. 370) soutient
qu’il faudrait distinguer la faute intentionnelle subjective en matière
délictuelle et la faute intentionnelle objective (ou faute dolosive) en matière
contractuelle afin de respecter la dualité de faute énoncée par l’article
L113-1 al. 2 du Code des assurances.
Le premier élément constitutif
est identique, les deux fautes supposant un geste sciemment commise par
l’assuré. Concernant le second élément constitutif, l’originalité de la faute
dolosive (ou faute intentionnelle objective) serait de se placer sur le terrain
de la suppression de l’aléa et non de la recherche du dommage.
C’est la position retenue par la
Cour de cassation dans un arrêt du 22 septembre 2005 (Cass. 2ème civ., 22
septembre 2005, n° 04-17232) qui affirme expressément qu’en commettant
volontairement la faute, l’assuré a objectivement supprimé l’incertitude tenant
à la survenance du dommage. Cette
jurisprudence a été renouvelée dans des litiges où les assureurs se fondaient
sur un défaut d'aléa, mais coexistaient en même temps des jurisprudences
fondées sur la conception classique (par exemple, Civ. 2e, 20 mars 2008, n°
07-10499).
Toutefois, depuis 2010, la Cour
de cassation semble désormais rejeter l'argumentation des assureurs lorsqu'ils
invoquent l'exclusion de la faute intentionnelle en se fondant sur l'absence
d'aléa dès lors qu’il n’existe pas d’éléments de faits que l’assuré ait eu la
volonté de créer le dommage (Civ. 2e, 1er juillet 2010 n° 09-10590 publié au
Bulletin). De même, dans un arrêt du 2 mars 2011 (Civ. 3e, n° 09-72744,
solution identique dans Civ. 2e, 16 juin 2011 n° 10-21474), la Cour de
cassation a affirmé que, pour se prononcer sur une faute intentionnelle, une
cour d'appel « n'avait pas à répondre à un moyen relatif à l'absence d'aléa,
que ses constatations rendaient inopérant ».
Plus récemment, dans un arrêt du
30 juin 2011 (Civ. 2e, n° 10-23004), à paraître au Bulletin, la Cour de
cassation a considéré qu'avait commis une faute intentionnelle, au sens du
droit des assurances, un syndic ayant souscrit une police d'assurance
multirisque immeuble « dans des conditions de mauvaise foi telles que la
nullité de la police était encourue et a été décidée par décision de justice ».
De ce fait, il ne pouvait qu'être certain que son propre assureur de
responsabilité civile professionnelle serait appelé en garantie. Au vu de ces
éléments de fait relevés par la cour d'appel, la Cour de cassation a considéré
que le syndic avait eu la volonté et la conscience de causer le dommage.
Cette dernière décision va dans
le sens d’une conception unitaire de la faute intentionnelle en exigeant une
volonté et une conscience de créer le dommage.
II.
La
notion de faute dolosive déterminant la responsabilité personnelle des
dirigeants à l’égard des tiers
Depuis un première arrêt de la
chambre commerciale de la Cour de cassation du 22 janvier 1991 (Com ; n°
89-11650°, l’engagement de la responsabilité d’un dirigeant pour une faute de
gestion suppose de rapporter la preuve d’une « faute détachable de ses
fonctions » qui lui est « personnellement imputable ».
Pour le commentateur Stephan
REIFEGERSTE (JCP G, n°46 12 novembre 2003 II 10178), cette notion était
particulièrement imprécise et quasiment jamais retenue par la Cour de
cassation, même en présence d’un dol ou d’un dépassement de pouvoirs commis par
un dirigeant.
Un arrêt de la chambre commerciale
du 20 mai 2003 (Com., n°99-17092) définit cette notion de faute détachable du
dirigeant : « il en est ainsi lorsque le
dirigeant commet intentionnellement une faute d'une particulière gravité
incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales".
Cette définition de la faute
séparable comporte, semble-t-il, trois éléments. Elle doit être :
- intentionnelle,
- d'une
particulière gravité,
- et
incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales.
Pour le commentateur Stephan
REIFEGERSTE, ainsi formulée la nouvelle définition donnée à la faute détache
des fonctions « devient plus souple et
sans doute aussi plus subjective. Ne se caractérisant plus nécessairement par
une extériorité du comportement litigieux à la fonction de dirigeant, elle peut
désormais être déduite d'une incompatibilité avec l'exercice normal de
celles-ci, sous réserve toutefois de son caractère intentionnel et de sa
particulière gravité. Autrement dit, afin qu'un dirigeant soit responsable
personnellement à l'égard des tiers, il ne devra plus nécessairement sortir de
ses fonctions. Il lui suffira d'adopter un comportement qui soit incompatible
avec leur exercice normal ».
Enfin, l’arrêt de la Cour de
cassation du 14 juin 2012 donne un éclairage intéressant à la notion de faute
professionnelle du dirigeant.
Dans cette affaire, la société
Marionnaud, qui avait assuré ses dirigeants et mandataires sociaux en cas de «
faute professionnelle, réelle ou alléguée, commise dans l'exercice de leur
fonction », avait sollicité la garantie de l'assureur à la suite de la
condamnation de son directeur général par l'Autorité des marchés financiers
(AMF) et par le juge correctionnel pour « diffusion d'informations fausses ou
trompeuses ». La garantie avait été étendue aux amendes et/ou pénalités
civiles. Reprochant au directeur d'avoir agi intentionnellement, l'assureur
refusait de prendre en charge les condamnations (400 000 € d'amende) prononcées
à son encontre.
La Cour de cassation rejette la
demande en garantie formulée par la société Marionnaud, relevant que son
directeur a eu la volonté « non pas de se voir sanctionner, mais de parvenir à
tromper le public sur la situation de la société afin de mieux en négocier la
cession, qu'il ne s'agit ni d'une faute d'inattention ni de négligence, ni
d'une erreur de fait, mais de l'expression consciente d'une volonté délibérée
de fournir au public des informations propres à modifier l'appréhension de la
situation financière de la société, de valider des opérations qu'il savait
illégales ».
Pour la Cour, « une faute
intentionnelle est incompatible avec l'aléa, excluant la garantie de l'assureur
». Ce faisant, la Cour semble aller dans le sens d’une conception dualiste de
la faute intentionnelle bien qu’elle n’utilise pas le terme de la faute dolosive.
Toutefois cet arrêt ne saurait
mettre un terme au débat sur l’unité ou la dualité de la faute et mériterait d’être
définitivement tranché par la Cour de cassation à l’avenir.